Erlkönig - Analyse

I)        Introduction

 

La mythologie germanique regorge de toutes sortes d’êtres fantastiques, de fées et d’elfes qui ont tous leurs pouvoirs et bénédictions, malédictions et vertus. Parmis eux se trouvent les Elfes Noirs et les Elfes Blancs. Les premiers sont des bêtes sataniques, féroces, redoutées des croyants… Les seconds, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne sont pas l’inverse de leurs congénères, car malgré leurs dehors apaisants, ils essayent par la ruse, puis par la force de s’emparer des âmes des humains faibles pour pouvoir en jouir ; c’est le cas du Roi des Aulnes, le « Erlkönig ». Il essayera donc d’enjôler l’enfant souffrant, pour peut-être gagner sa jeune âme…

 

 

II)         Le texte

 

Quand monte la voix du récitant ou du chanteur, le décor s’installe dès le premier quatrain, qui correspondrait, si l’on comparait cette œuvre à un récit, à la situation initiale. En effet, les expressions « so spät » (si tard) et « durch Nacht und Wind » (par nuit et par vent), dans le premier vers, installent d’emblée l’ambiance sombre et mystérieuse du poème.

     La trame, par la suite, se déroule de façon relativement symétrique : l’enfant « voit » le Roi des Aulnes qui lui promet monts et merveilles, il en fait  part à son père qui le rassure, l’apaise en donnant une explication logique, donc rassurante à son fils qui, on l’a compris, est souffrant.

     Le Roi des Aulnes s’y prend de différentes manières, quand il enjôle l’enfant. Tout d’abord, il essaye de le faire rêver par différents moyens (les jeux, les fleurs, l’amour maternel, l’or, etc.) « schöne Spiele […] bunte Blumen […] meine Mutter […] gülden Gewand » et, par extension le confort, la richesse ; plaisirs desquels il ne jouit pas au cours de cette cahotante chevauchée par temps venteux… Ensuite, ce manipulateur s’adresse à lui en le disant malin « feiner Knabe » (gamin avisé) ; il lui promet les soins et les danses de ses filles, ce qui ne cache pas une arrière idée érotique. Enfin, il s’adonne à une dernière flatterie « mich reizt deine schöne Gestalt » (ta belle silhouette me fascine) … avant de céder à l’usage de la force.

       Surtout à la première écoute, le texte ne peut que surprendre, voire choquer. Il y est question d'êtres surnaturels, d'enfant se faisant charmer puis violenter et enfin tuer, le tout encore une fois dans un cadre, dirait-on aujourd'hui, de film d'épouvante : il fait nuit, il y a du vent, l'enfant doit être réchauffé... Par opposition, l'abondance de plaisirs divers que lui promet le roi des aulnes transpose facilement la situation dans la vie courante : allégorie de la tentation, Erlkönig représente tout ce que doit rejeter l'homme. De là à voir une valeur moralisatrice dans le poème, il n'y a qu'un pas, bien que ce ne fût pas du genre de Goethe. Moralisateur, donc ? Peut-être pas, mais dénonciateur, sans doute. En effet, lors des vers "Ich liebe dich, mich reitzt deine schöne Gestalt,/ Und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt !" ("Je t'aime, tes belles formes m'attirent,/ Et si tu ne consens pas, j'utiliserai la force !"), on peut sérieusement se demander si le lecteur assiste à un viol. D'autres analyses s'y risquent aussi, et on peut se demander si Goethe n'a pas voulu là pointer de manière subliminale quelque chose à laquelle il aurait pu être confronté.
      Une autre interprétation de la signification de la situation serait de voir le tout de manière beaucoup plus symbolique ; pour certains, le Roi représente les prémices de la puberté de l'enfant, ou encore la nature purement masculine, voire virile du futur homme. En effet, après les attraits maternels, ce sont le appas de ses filles qu'il fait miroiter, le tentant comme dit plus haut avec des arguments érotiques. Et finit par l'emporter. Ainsi, ce nocturne trajet démoniaque ôterait à la victime son innocence et l'obligerait à quitter son enfance. Sa mort représenterait ainsi l'inéluctabilité de cette épreuve et du passage à l'âge ou plutôt au monde adulte, et cela malgré le galop et la fuite effrénés du père, qui ne pourra l'y soustraire. Toutes les tentatives du père de rassurer son fils se révèlent vaines à enrayer les changements naturels de celui-ci.
        Enfin, on a reproché au personnage du père son esprit trop marqué par le rationalisme les Lumières. Il cherche une explication logique à toutes les hallucinations, selon lui, de l'enfant : apparition du Erlkönig, voix qui lui promet monts et merveilles... Ces explications, censées démystifier les événements, sont décrédibilisées par Goethe, qui lui rend Erlkönig réel en lui donnant la parole, lui attribuant des sentiments humains (amour), et des filles. Elles sont d'autant moins convaincantes qu'elles appartiennent aux explications simplistes que les adultes se plaisent à donner par facilité aux enfants, quand ils les agacent. En ôtant son crédit au père pour l'accorder au Roi des aulnes, Goethe s'affirme donc justement contre cet esprit rationaliste.

 

 

III)        Le rapport du texte à la musique

 

     Il y a un rapport très étroit entre le texte et la musique de Schubert. En effet, le compositeur, non content de s’en tenir rigoureusement au texte (sauf pour le passage où il répète « und wiegen und tanzen und singen dich ein ») y tisse des liens aussi subtils qu’étroits.

     Dès l’introduction, il installe une ambiance inquiétante en répétant ces triolets forte ; ce qui n’est pas sans nous rappeler le galop saccadé du cheval.

     On remarquera que toute la première question du narrateur ("Wer reitet so spät durch Nacht und Wind") est accompagnée par un accord de dominante (ré majeur) afin d'augmenter la tension, l'accroche et de souligner l'interrogation. Puis, à la fin de premier quatrain, la mélodie fait clairement sus-tonique, sensible, tonique, comme pour installer la situation. 

     De plus, il assigne au père la partie grave du registre du ténor qui se veut rassurante, apaisante, la partie médium au « Erlkönig » (sans doute pour trouver un équilibre entre la voix d’homme qu’il doit posséder et le côté séduisant qu’a une voix aiguë et dont a besoin le manipulateur) ; et la partie aiguë à l’enfant, pour se rapprocher au maximum de la tessiture normale d'un enfant, et pour souligner sa crainte.

     On peut encore voir un clin d’œil de Schubert quand celui-ci écrit une cadence majeure à la fin de chacune des conclusions logiques et rassurantes du père qui essaye de calmer son fils maladif ; cadence dont le compositeur profite pour enchaîner sur le passage du Roi des Aulnes, dans le mode majeur afin d'appuyer le côté tentateur de l'intervention et l'aspect miraculeux de tout ce qu'offre le Roi des aulnes à l'enfant. Par contre, à la fin de ce passage, Schubert ne manque pas de repasser dans le mode mineur pour poursuivre avec la plainte de l’enfant paniqué.

     Quand la parole est au Roi, l’accompagnement, en plus de passer en mode majeur, se fait plus doux, plus mélodieux (première croche du triolet de main droite à la basse ( de manière à ce que les temps forts soient évidents, de qui donne une impression de "confort", "assise" auditive), accords brisés, etc.) et Schubert augmente le nombre de chromatismes à la partie de chant, comme pour associer, pourrait-on dire le public à l’enjôlement du garçon… 
        Il est intéressant de noter que dès sa deuxième intervention, les explications simplistes du père sont ponctuées de modulations dans des tons biscornus, ou tout au moins d'un éloignement drastique de la tonalité de départ, comme pour pointer le peu de crédibilité qu'ont ses assertions.
      À la fin de chacune de ses interventions, on remarquera que l'enfant finit chacune de ses interventions par des chromatismes accompagnés à la tierce par la basse, ce qui donne une impression d'instabilité et accentue le malaise de l'enfant.

     Quand, à la mesure 117, on passe brutalement sur un accorde de sixte napolitaine, le Roi décide d'accéder à la force, la voix de l’enfant passe au suraigu, (on remarquera que cette voix n’a fait que monter lors de ses interventions, ce qui marque peut-être le crescendo de sa douleur et de son inquiétude…) un registre qui tend a exprimer la douleur de l'enfant.

     Lorsque le père s’emballe, il se met à presser son cheval, la musique alors elle aussi accélère, les triolets en octaves de la main droite sont par moments accompagnés de triolets du même genre dans le registre grave du piano, afin d'accentuer l'aspect théâtral du moment, pour finalement arriver au récitatif faisant durer le suspense… jusqu’à l’annonce fatidique de la mort de l’enfant…

 

 

Analyse complète : C.Gester

Remerciements à Mme Boetzle pour son aide pour
la première partie

 

 
 



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